Le rôle de l’éducation dans une implantation éthique de l’intelligence artificielle

Lors de la conférence Intelligence Artificielle en Mission Sociale, tenue les 25 et 26 janvier derniers, de petits groupes multidisciplinaires se sont penchés sur l’implantation éthique de l’intelligence artificielle (IA) au sein de notre société. Chaque groupe de discussion était facilité par un membre de l’équipe de IA en mission sociale qui a soigneusement récolté les recommandations des participants dont voici un sommaire.

Portrait des participants

Tout d’abord, il est important de souligner que sur 185 inscriptions, 52 provenaient d’organismes à but non-lucratif, permettant une représentation importante de la société civile. Cet objectif a été atteint avec succès grâce à un prix d’entrée accessible adapté aux budgets limités des organismes communautaires, une campagne d’information par courrier électronique, des appels directs et du bouche à oreille.

Les organisateurs ont conçu les groupes de discussion de façon à assurer une représentation multidisciplinaire et multisectorielle. Les participants aux groupes de discussion incluaient notamment des chercheurs et des praticiens en politiques publiques, en innovation sociale, en droit, en éthique, en travail social, en éducation, en apprentissage automatisée et profond, en sciences des données, des entrepreneurs, des gestionnaires et des étudiants dans divers domaines.

Les trois questions posées aux participants sont les suivantes:

1) Super-héros ou robots-tueurs : si vous aviez tous les moyens nécessaires, pour quels types de projets utiliseriez-vous l’intelligence artificielle?

2) Bâtir des ponts : comment améliorer la collaboration ?

3) Concrètement, sur 0-5 ans, comment atteindre une implantation éthique et équitable de l’IA?

Les résultats ont été compilés en trois rapports sommaires.

  • Le premier rapport porte sur les recommandations en gouvernance et politiques publiques publié par l’Institut de recherche en politiques publiques.
  • Ce document est le second rapport et il porte sur le rôle de l’éducation dans l’implantation éthique et équitable de l’intelligence artificielle au sein de notre société.
  • Le troisième rapport, qui sera publié sous peu, portera sur quelques solutions technologiques au développement éthique de l’intelligence artificielle.

Synthèse des recommandations 

Outiller dès l’enfance et tout au cours de la vie adulte

  • Une insatisfaction générale vis à vis du statu quo en éducation en milieu scolaire est sous-entendue et la question de l’enseignement dans les écoles et du cheminement scolaire dénote un besoin d’amélioration.
  • On se questionne notamment sur les approches optimales visant à favoriser une éducation plus adaptée aux différentes formes d’intelligence et styles d’apprentissage des enfants.
  • L’importance d’enseigner les habiletés sociales nécessaires au travail d’équipe pluridisciplinaire dès le primaire de même que tout au long de la vie de travail est soulignée à plusieurs reprises.
  • On recommande de favoriser un esprit critique et la créativité dès la petite enfance.
  • Tant pour les enfants que les adultes, il est suggéré de considérer l’apprentissage autodidacte et alternatif de même que la reconnaissance de compétences autre que les méthodes traditionnelles.
  • On recommande un apprentissage via des stages en milieu de travail dans un environnement pluridisciplinaire afin de favoriser un partage de connaissances.
  • Tant au niveau des nouveaux arrivants que des personnes qui seront affectées par les changements technologiques, on aborde la question de la reconnaissance des acquis et des compétences. On pointe vers des outils technologiques qui pourraient permettre une reconnaissance plus efficace des compétences et de mettre les individus affectés en contact avec de nouveaux employeurs. Il est suggéré de travailler en collaboration avec les organismes sans but lucratif qui œuvrent déjà dans le secteur de l’employabilité car ils possèdent les liens avec la communauté et l’expertise requise.
  • L’obligation de suivre des cours d’éthique pour tous les étudiants, chercheurs et développeurs en sciences des données, en apprentissage profond et automatisé est fortement suggérée. Certains recommandent de plus l’adoption d’un code d’éthique comme c’est le cas, par exemple, pour les avocats, médecins et travailleurs sociaux.

Soutenir un dialogue intersectoriel 

  • Tant au niveau académique qu’au sein des entreprises et de la population générale, un changement de culture doit s’amorcer pour prendre un virage technologique qui bénéficie à tous. Non seulement est-il essentiel de consacrer des ressources importantes à la compréhension de la logique algorithmique, des enjeux entourant les données et de la numératie technologique, mais il est également suggéré de mettre en place des mécanismes de dialogue entre le citoyen, le secteur privé et le gouvernement. Ces mécanismes servent à la fois comme des outils d’éducation populaire et de consultation citoyenne mais aussi de dialogue entre les parties prenantes au virage technologique.
  • L’éducation populaire, les consultations citoyennes et le dialogue citoyen-gouvernance-entreprises devrait être diversifiée, inclusive et proactive afin de rejoindre toute la population via, par exemple, les arts, des outils technologiques et les médias.
  • La numératie technologique et algorithmique est plus que jamais vu par plusieurs intervenants comme une priorité. On identifie également le besoin de simplification et de vulgarisation du langage entourant l’intelligence artificielle afin d’encourager la participation de tous aux consultations sur l’implantation de l’IA.
  • Il ressort un besoin de créer un langage moins alarmiste autour de l’IA afin de favoriser une plus grande participation de tous.
  • Un nombre considérable de participants ont conclu sur la nécessité de favoriser des ponts entre les secteurs technologiques, privés, académiques et les organismes de la société civile.
  • L’importance de l’approche pluridisciplinaire est valorisée, contrairement à l’approche par silo de compétences. Des équipes multidisciplinaires, inclusives de la diversité, mettant une forte importance sur l’éthique sont l’équipe de travail de l’avenir, qui doit être mise en œuvre et promue dès maintenant.
  • À cause de son caractère éducatif, consultatif et multidisciplinaire, des événements tel que la conférence IA en Mission Sociale devraient être soutenus et facilités par les différents secteurs.

Assurer l’accès aux ressources

  • L’implantation de l’IA passe par une meilleure gestion des données et, par conséquent, plusieurs participants soulèvent la nécessité des former les citoyens et les organismes qui œuvrent auprès de personnes plus vulnérables et isolées sur différentes questions déterminantes relatives aux données. À cet effet, il est suggéré d’offrir des formations sur les données pour les citoyens et les organismes sans but lucratif qui les desservent.
  • La réalité du financement des petits organismes sans but lucratif fait en sorte qu’ils n’ont souvent pas accès à un développeur web, et encore moins à un spécialiste en gestion des données. Sans soutien concret en gestion des données, la voix de tous ne sera pas entendue au cours de transition vers l’économie 4.0 et c’est tout un secteur qui sera laissé pour compte. Pour concevoir une société où l’IA est au service des citoyens et éviter un accroissement des inégalités sociales, nous devons favoriser un plus grand accès à la science de données et l’intelligence artificielle pour les organismes sans but lucratifs qui œuvrent au service des personnes plus isolées et vulnérables.
  • Une des grandes craintes des participants porte sur les éventuelles pertes d’emplois qui pourraient être causées par l’automatisation de certaines tâches. On se questionne avec inquiétude sur où seront redirigé les emplois robotisés, vers quel secteur et comment. On suggère de faire rapidement une réflexion sur le sens du travail en regard des aspects positifs de l’IA. Il faut revoir collectivement le sens du travail afin d’aider tous les travailleurs qui seront affectés par cette révolution.
  • Un autre élément soulevé par plusieurs est la nécessité d’un dialogue sur les moyens de garantir un filet social et la possibilité d’instaurer un revenu minimum garanti. *Note au lecteur, cette recommandation se retrouve ici plutôt que dans le sommaire en matière de politiques publiques et gouvernance, car les participants semblaient insister sur l’importance d’un dialogue en continu sur cette question plutôt que l’instauration d’une politique précise.
  • On soulève la nécessité de créer des ponts à l’intérieur de départements universitaires et entre différents écosystèmes. La réalité du financement de la recherche universitaire et des organismes communautaires fait parfois entrave à la collaboration entre les organismes ou les départements. Dans le milieu universitaire, les fonds sont accordés selon des spécialités très pointues et favorisent conséquemment des silos de connaissances, alors qu’une implantation éthique et équitable de l’IA requiert des équipes pluridisciplinaires et multisectorielles.

Conclusion

À la lumière des recommandations des participants aux ateliers, il apparait explicitement que l’éducation a un rôle fondamental dans l’implantation éthique de l’IA. Non seulement, elle permet d’assurer un transfert des compétences requises pour un marché du travail qui évolue rapidement mais c’est également à travers l’éducation qu’un changement inclusif et durable sera possible. Il est vital que les différents secteurs collaborent pour assurer le développement d’une expertise adaptée aux besoins changeants du marché du travail de même que pour favoriser un discernement entre les risques et bénéfices potentiels liés aux sciences des données et l’IA.

La compréhension des risques pourra résulter en un encadrement normatif adapté à nos valeurs mais saura aussi favoriser le dénouement de résistances qui freinent certaines recherches. En effet, c’est via l’éducation que les bénéfices seront compris et les risques encadrés. Éduquée, consultée et rassurée au sujet des enjeux liés aux données et l’intelligence artificielle, la collectivité sera en mesure de faire des choix éclairés. La société pourra alors tirer avantage de l’utilisation des données et leur intégration dans des systèmes automatisés, notamment en matière de santé.

La réalisation des Lignes directrices actuelles pour allier éthique au numérique requière la mise en place de mécanismes de dialogue inclusifs et adaptés aux communautés et régions desservies. Par exemple, des rencontres stratégiques conçues dans des centres urbains n’auront peut-être pas le même impact en région éloignée.

Les questions d’accessibilité et d’acceptabilité de l’IA sont au cœur du rôle de l’éducation. Que ce soient via les arts ou la technologie, des outils innovateurs facilitant une meilleure compréhension des enjeux en lien avec l’IA sont intrinsèques à la démarche de co-construction sociale. C’est par ce dialogue et partage de connaissances que nous atteindrons ensemble une implantation éthique de l’IA au sein de nos structures de gouvernance et de notre modèle économique.

Face à la complexité de l’IA, l’éducation est un phare qui permet de naviguer entre les risques et bénéfices de son application. Ultimement, c’est en faisant naître l’enthousiasme que se réuniront les conditions nécessaires pour récolter la richesse que cette nouvelle technologie peut semer.

“Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer.”


Antoine de Saint-Exupéry

  

*Note au lecteur: veuillez noter que la 2e édition de la conférence IA en Mission Sociale aura lieu les 21 et 22 mars 2019 à Montréal. Aussi, le 3e et dernier rapport sommaire des recommandations issues des ateliers de la conférence porte sur quelques solutions technologiques au développement éthique et responsable de l’intelligence artificielle et sera publié dans les prochains mois.